Thai Yên, l’un des plus anciens villages de menuiserie du Centre du Vietnam. Photo: Kim Liêu/VOV5 |
Imaginez-vous déambulant dans les ruelles étroites de ce village d’artisans. L’odeur du bois fraîchement taillé vous saisit dès les premiers pas. Des copeaux dorés jonchent le sol devant les ateliers ouverts, où des mains expertes transforment patiemment des troncs bruts en œuvres d’art.
L’histoire de cette vocation remonte à la fin du 17e siècle. Les anciens racontent que leurs aïeux ont d’abord façonné des objets sacrés - plateaux d’offrandes, brûle-encens pour les temples. Puis, au fil des générations, leur art s’est raffiné, diversifié. Au début du 20e siècle, la réputation de Thai Yên rayonnait déjà bien au-delà des frontières provinciales.
Mais qu’est-ce qui rend ces artisans si particuliers? La réponse se trouve dans leur approche quasi mystique du matériau. Les artisans de Thai Yên sélectionnent leurs bois comme un parfumeur choisit ses essences: lim, dôi, go, sang vi... Des noms qui chantent comme une mélodie, et qui correspondent à des essences précieuses rapportées des forêts reculées de Hà Tinh et de Nghê An.
Phan Dang Luân, propriétaire d’une grande manufacture de meubles d’art, nous explique cette quête de l’excellence.
“Nos artisans doivent avoir au minimum dix années d’expérience derrière eux. Chaque ligne doit être nette, élégante. Nos techniques de polissage se transmettent de père en fils, même si nous intégrons désormais des technologies et des machines modernes pour sublimer ce savoir ancestral”, nous dit-il.
Des meubles confectionnés par les artisans du village de Thai Yên. Photo: Kim Liêu/VOV5 |
Cette alliance entre tradition et modernité, c’est précisément ce qui permet à Thai Yên de prospérer au 21e siècle. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: 56 entreprises et coopératives, plus de 1.000 ateliers familiaux, un chiffre d’affaires annuel qui dépasse les 900 milliards de dôngs - soit plus de 35 millions de dollars. Une réussite qui fait vivre près de 2.000 personnes et qui rayonne bien au-delà du Vietnam. Trân Van Toàn, qui est à la tête de l’atelier Toàn Lôc, partage sa vision de l’avenir.
“Nous créons constamment de nouveaux modèles qui parlent aux goûts contemporains, nous adoptons les technologies les plus avancées pour améliorer notre productivité. Nos partenariats avec de grandes entreprises nationales et internationales nous ouvrent des marchés que nos grands-pères n’auraient jamais imaginés. Mais à chaque étape, nous gardons cette signature unique qui fait de nos pièces des objets irremplaçables”, nous explique-t-il.
Face à la mondialisation et à la concurrence industrielle, Thai Yên a su se réinventer sans perdre son identité. Une partie des ateliers s’est spécialisée dans l’art du souvenir: des créations miniatures qui capturent l’essence du village dans des objets nomades. L’artisan Phan Dang Yên évoque cette nouvelle approche.
“Les visiteurs qui viennent chez nous ne peuvent pas partir avec une armoire de deux mètres, mais ils repartent avec une théière sculptée, un porte-clés orné de nos motifs traditionnels, une petite sculpture qui raconte notre art. Ces objets compacts et raffinés portent en eux toute la sophistication de nos techniques ancestrales”, nous confie-t-il.
Cette évolution s’accompagne d’investissements massifs. La commune a créé un pôle industriel de plus de 21 hectares, représentant un investissement de 102 milliards de dôngs (plus de 4 millions de dollars). Un pari sur l’avenir qui marie innovation technologique et préservation du patrimoine, comme nous l’explique Nguyên Khac Chiên, le vice-président du comité populaire local.
“Nous formons nos artisans aux techniques de design contemporain, nous optimisons nos circuits d’approvisionnement en matières premières, nous maîtrisons les processus de séchage et de traitement du bois avec une précision scientifique. Tout cela pour que chaque produit qui sort de nos ateliers soit une garantie de qualité”, résume-t-il.
Le pari semble réussi. Thai Yên n’est plus seulement le gardien de la menuiserie traditionnelle vietnamienne, mais le symbole vivant d’une communauté qui a su transformer son héritage sans jamais renier son essence.