Laisser le champ libre à des autistes, c’est accepter le côté obsessionnel de leur pathologie, laquelle se manifeste souvent par la répétition obstinée d’un élément quelconque ou par la manie des alignements. Et effectivement, si Van Minh Duc signe ses tableaux par les numéros de téléphone de ses proches (les autistes sont connus pour leur capacité parfois sidérante à mémoriser des séries de chiffres…), Hà Dinh Chi, alias Nem, dessine en utilisant tout ce qui lui tombe sous la main. Binh Minh, lui, porte une attention particulière aux animaux... Chacun a donc un univers bien à lui, ce qui n’est pas pour effrayer Nguyên Thu Hang, l’une des initiatrices du projet.
«L’une des caractéristiques de l’autisme, c’est la répétition : répétition d’un mot, d’une syllabe… C’est d’ailleurs pour ça que l’exposition s’appelle ‘Iu.Iu.Iu’. ‘Iu’, ça vient de ‘yêu’, qui veut dire aimer. Alors voilà, c’est une façon d’insister sur cette idée d’aimer, en imitant ce balbutiement propre aux autistes.», nous explique-t-elle.
Ayant pour objectif de lutter contre les clichés et les préjugés qui entourent l’autisme, cette exposition est tout autant une campagne de sensibilisation qu’une manifestation artistique.
«Vous voyez! Tous ces tableaux, là, réalisés par de jeunes autistes. C’est incroyable! Ce qu’on espère, en montrant tout ça, c’est que le regard de la société va évoluer. Les autistes possèdent en fait un talent fabuleux, qui mérite vraiment d’être mis en lumière.», nous dit Nguyên Dinh Nguyên, le directeur de l’organisation To He.
L’école, la maison, des fruits, des animaux, des personnages… Tout s’entremêle joyeusement, sans fil conducteur apparent, si ce n’est une propension évidente à préférer les couleurs fortes et brillantes : orange, bleu, rouge, violet…
«Le dessin est un des moyens de communication dont disposent les autistes», précise Thu Hang. «A défaut de pouvoir s’exprimer avec des mots, ils le font par le biais du dessin. Alors c’est vrai qu’ici, on a une palette assez vive… Je pense qu’il faut y voir l’espoir d’une vie heureuse… C’est difficile, de toute façon, de savoir exactement ce qu’ils ont voulu dire, parce que le processus de création n’est pas toujours très rationnel. Ça exige de la patience, beaucoup de patience…»
L’organisation vietnamienne de la santé publique estime à près de 200.000 le nombre d’enfants autistes. Quant aux psychologues, ils pensent que ce chiffre est sans doute bien en deçà de la réalité... Il faut dire que les hôpitaux signalent de leur côté une nette augmentation des cas, notamment chez les enfants en bas âge, ce qui préoccupe les familles, lesquelles se retrouvent souvent désarmées face à une pathologie peu ou mal connue. Dans ces cas-là, on est évident heureux de trouver des gens qui cherchent à connecter les autistes à la société, comme le font les responsables de To He. C’est le cas de Lan Phuong, qui est la mère du jeune Nem, l’un des 7 artistes de l’exposition.
«Ce que j’apprécie, c’est qu’on peut communiquer entre nous», nous confie-t-elle. «Entre parents d’autistes, je veux dire. Et ça, c’est vraiment important, parce c’est quand même un fardeau lourd à porter. Et pour les enfants, ça leur permet de sortir de leur coquille, de se libérer de cet enfermement mental qui est trop souvent leur lot quotidien.»
To He n’en est pas à son coup d’essai. L’an dernier, l’exposition «Cham» avait déjà permis à de jeunes autistes de s’exprimer, et au public de s’affranchir d’un certain nombre d’idées reçues sur une pathologie qui se manifeste souvent par une hypersensibilité exacerbée, ce qui explique sans doute que l’art - le dessin, mais aussi la musique - soit considérée comme une thérapie possible. Mais pour en revenir à «Iu.Iu.Iu», c’est en tout cas très beau, au sens propre comme au sens figuré… A voir… et à méditer!