Le café The Riêng est situé au 342 rue Bà Triệu. Photo: Khánh Long/VNP |
Chaque matin, Trân Thu Phuong entreprend un voyage de vingt kilomètres depuis sa banlieue pour rejoindre son lieu de travail. Un trajet long et fatigant qu’elle refuse pourtant de raccourcir en changeant d’emploi. La raison ? The Rieng n’est pas qu’un simple café pour elle, c’est un univers où sa surdité devient un lien plutôt qu’une barrière.
Derrière le comptoir, Phuong s’affaire à préparer les boissons avec une précision remarquable. Ses mains dansent dans l’air et traduisent ses pensées en langue des signes. Les claquements de ses paumes résonnent comme une percussion naturelle tandis que son collègue Nguyên Phuong Hà nous traduit ses mots:
“Vous savez, j’ai essayé de travailler dans d’autres endroits avant de venir ici. Mais c’était vraiment compliqué - les gens ne savaient pas comment communiquer avec moi, j’étais toujours mise à l’écart. Ici, c’est différent. Tout le personnel maîtrise la langue des signes, on forme une vraie équipe. Ce que j’adore le plus, c’est créer ces boissons. Chaque recette est comme un puzzle que je dois résoudre dans ma tête. Et quand je secoue le shaker, je ressens ces vibrations qui remontent dans mes bras. Puis voir le sourire des clients quand ils goûtent ma création... ça, c’est ma récompense”, dit-elle.
Luong Viêt Quang est un serveur de 19 ans au très beau visage. Bien qu'il ne puisse pas entendre, Quang ressent la vibration de la machine dès qu'un client actionne le dispositif de connexion installé sur sa table.
En entrant dans The Riêng, les clients sont accueillis d’une manière unique par de jeunes employés sourds-muets. Photo: Khánh Long/VNP |
Cette même adaptation au monde du travail, Nguyên Thi Kim Anh l’a vécue différemment. Comme beaucoup de ses collègues sourds-muets, elle a longtemps été cantonnée à des postes jugés “sans risque” par les employeurs. Aujourd’hui, c’est elle qui tient les cordons de la bourse du café en maniant avec aisance ces sons familiers de la caisse enregistreuse.
Cette atmosphère particulière séduit une clientèle de plus en plus fidèle. Pham Thai Hà, qui un client, a développé sa propre relation avec l’équipe:
"Au début, je dois l’avouer, j’étais un peu intimidée. Mais très vite, j’ai découvert une forme de communication bien plus riche que ce que j’imaginais. Leurs yeux parlent, leurs sourires racontent des histoires. J’ai même appris quelques signes de base. Maintenant, quand je dis ‘délicieux’ avec mes mains, je vois leurs visages s’illuminer. C’est devenu un échange humain authentique, sans artifice", partage-t-elle.
The Riêng n’est pas seulement un lieu de travail, mais aussi une maison de partage, d’empathie et de diffusion des valeurs. Photo: Khánh Long/VNP |
L’aventure The Rieng a commencé en 2019 dans l’esprit de Vu Van Dung, après une rencontre fortuite avec un ami sourd-muet, aujourd’hui devenu responsable des ressources humaines du café. Mais entre l’idée et la réalisation, le chemin fut semé d’embûches. Les difficultés de communication et la méconnaissance du fonctionnement de la communauté sourde-muette ont failli décourager Dung à plusieurs reprises. Pourtant…
"Leur enthousiasme et leur rigueur m’ont convaincu que c’était possible. Mon objectif aujourd’hui dépasse la simple création d’emplois. Je veux casser les préjugés, montrer que la différence peut être une richesse. Une fois que nous aurons équilibré nos comptes, chaque dông de bénéfice ira soutenir l’éducation des jeunes sourds et l’aide aux familles en difficulté. The Rieng, c’est un pont entre deux communautés qui s’ignoraient", raconte-t-il.
Alors que nous nous apprêtons à quitter The Rieng, le personnel nous offre un cadeau: ce geste devenu leur signature. Leurs doigts se joignent délicatement en forme de cœur, effleurent leurs lèvres dans un baiser silencieux, puis s’ouvrent comme une fleur qui éclot.
The Rieng prouve qu’au-delà des difficultés et des préjugés, chaque jour apporte sa part de victoires silencieuses. Ici, le handicap devient une différence créatrice, et le silence, une nouvelle forme d’éloquence qui nous apprend à écouter autrement.