Les habitants attendent toujours la montée des eaux (photo: VOV)
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C’est un phénomène tout à fait ordinaire, dans le delta du mékong. Chaque année, les crues commencent au mois de juillet et durent jusqu’à début décembre. Elles permettent d’apporter des alluvions, de débarrasser les sols des produits chimiques et autres polluants, mais également de détruire les parasites: autant dire qu’elles sont bénéfiques à l’agriculture…
Sauf que cette année, rien ne s’est passé comme prévu… Force est de constater qu’à la mi-novembre, le niveau des rivières situées en amont du delta reste encore assez bas. L’année dernière, à la même époque, les rizières étaient déjà inondées... Nombreuses sont les personnes dont l’activité dépend de la montée des eaux et qui se retrouvent du coup désoeuvrées. C’est par exemple le cas de Nguyên Van Sâm, 80 ans: la pêche est sa principale source de revenus...
«Ça monte, mais très lentement…», nous dit-il. «De toute ma vie, je n’avais jamais vu ça… Pour un pêcheur, comme moi, c’est catastrophique. Les autres années, je pouvais me faire 60 millions de dôngs, en saison des crues. Mais là, c’est carrément impossible!»
Même constat d’impuissance pour Nguyên Van Gàng, qui doit composer avec une chute des ressources halieutiques: moins 80% en glissement annuel.
«Ici, les gens vivent essentiellement de l’agriculture et de la pêche», nous explique-t-il. «Autant dire que la saison des crues est attendue avec impatience! Sauf que là, on se retrouve à sec, au sens propre comme au sens figuré. Et vu que les frontières sont bouclées, on ne peut même pas aller au Cambodge pour essayer de trouver un emploi saisonnier.»
Pham Thành Tâm est le chef adjoint du Bureau d’agriculture et de développement rural d’An Phu, le district où vivent ces deux pêcheurs. Le constat qu’il dresse est tout aussi amer. D’après lui, environ 70% des pêcheurs locaux ont dû changer de métier ou partir loin pour chercher un emploi. Quant à la production rizicole, elle est suspendue aux caprices de l’hydrométrie…
«Les riziculteurs sont obligés d’attendre la montée des eaux pour semer… Du coup, ils se retrouvent dans une situation de quasi chômage technique, cette année», nous fait-il observer. «Quant aux rizières, elle sont envahies par les herbes folles et il n’y a pas d’autre choix que d’utiliser des pesticides, pour les conserver en état.»
Le centre hydrométéorologique du Sud n’est guère plus optimiste. D’après ses experts, ce phénomène est dû à la faible pluviométrie observée sur tout le bassin du Mékong: moins 25% par rapport aux années précédentes. Cette faible pluviométrie entraîne une chute du débit, qui entraîne une baisse des crues: c’est l’effet domino… D’après les prévisions, le niveau de l’eau devrait être, pour cette année, nettement inférieur à la moyenne des années précédentes... Si la situation perdure - et tout porte à croire que ce sera le cas - les habitants du delta pourraient se retrouver en pénurie de ressources halieutiques.
La solution? Créer des réservoirs d’eau douce, au niveau des localités. C’est notamment ce que préconise Ky Quang Vinh, l’ancien directeur de l’Observatoire des ressources naturelles et de l’environnement de Cân Tho.
«C’est le changement climatique, ça… Non seulement il n’y a pas de crues, mais il risque en plus d’y avoir une sécheresse au début de 2021. Il serait quand même temps de réfléchir à des mesures appropriés pour permettre à la population de faire face», estime-t-il.
«Le changement climatique»… Le coupable est désigné. Reste maintenant à organiser la résistance. C’est ce à quoi s’emploie le delta du Mékong, qui s’apprête à affronter une sécheresse devenue inéluctable…