Peut-être est-il utile de rappeler ici ce que l’on entend par musique «classique». Il s’agit en fait d’un terme un peu «fourre-tout» qui englobe toutes les musiques savantes qui ont été écrites en Europe occidentale entre la Renaissance et la première moitié du 20e siècle. En termes de compositeurs, ça va de Bach à Stravinsky, en passant bien évidemment par Mozart, Beethoven, Brahms, Mahler, Strauss, Debussy, pour ne citer que ceux-là.
Cette précision étant apportée, intéressons-nous donc à François Bibonne, 25 ans, titulaire d’un Master d’histoire contemporaine de l'Université Panthéon-Sorbonne. Directeur de la communication du Conservatoire américain de Fontainebleau, en banlieue de Paris, le jeune Français est venu pour la première fois au Vietnam il y a deux ans, avec sa famille.
Et il a décidé d’y retourner, encore une fois, en février 2020, pour une mission peu ordinaire: tourner un documentaire sur la musique classique au Vietnam - un sujet pour l’instant vierge… À ce point vierge, d’ailleurs, qu’il s’est retrouvé quelque peu désarmé…
«Quand on arrive au Vietnam, on a une image fantasmée par les agences de tourisme. Mon travail cherche à sortir de cette représentation, notamment sur le plan sonore. Au cinéma, on entend encore les bruits de la guerre. Aujourd’hui, qu’est-ce que vous entendez au Vietnam? En musique, on pense directement à la musique traditionnelle: tant mieux, le sujet a été beaucoup travaillé. Mais pour ce qui est de la musique classique…», nous dit-il.
Effectivement, il faut bien reconnaître qu’en matière de musique classique, le Vietnam est encore à la traîne, à des années lumière de la Chine ou la République de Corée, qui sont désormais les plus grandes pépinières asiatiques, dans ce domaine…
Mais loin de décourager François Bibonne, ce constat le stimule, le pousse à chercher, toujours plus, à nouer des contacts… Il fait feu de tout bois, rencontre le gotha de la musique classique vietnamienne, fréquente toutes les institutions qui sont en place: ça va de l’orchestre symphonique national à l’opéra en passant par l’Académie nationale de musique.
L’un de ses interlocuteurs privilégiés n’est autre que le maestro japonais Honna Tetsuji, le directeur musical de l’orchestre national, qui, tout en étant un acteur de tout premier plan de la scène musicale vietnamienne, porte un regard extérieur sur toutes ces questions, pour la simple et bonne raison qu’il vient d’ailleurs... lui aussi.
François Bibonne (gauche) lors d’une interview avec le trompettiste japonais
Yuki Urushihara à Hanoi (photo: Tùng Duong).
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Ses pérégrinations musicales ont mené notre jeune Parisien dans des endroits aussi différents que le grand théâtre de Hô Chi Minh-ville, le village de Pham Phao, où l’on fabrique des cuivres, le village de Then, qui entretient une grande tradition violonistique… Il prévoit de se rendre prochainement sur l’île de Côn Dao, sur les traces de Camille Saint-Saëns, qui y a écrit une partie de son opéra Frédégonde, ou encore au Conservatoire de Huê, où, dit-on, a résonné la toute première mélodie de musique classique occidentale au Vietnam...
Pour lui, il s’agit plutôt d’une aventure en musique...
«Tous les jours je travaille sur mon documentaire. J’organise des plans, je monte les vidéos, j’écris les scripts, j’organise les prises de vue, j’enquête... Tout est très organisé et calme en Europe. Au Vietnam les musiciens sortent beaucoup dans la rue, c’est un peu jazzy en fait. Il y a moins de musique classique, a priori», nous confie-t-il.
A priori… Mais les «a priori», il faut savoir s’en méfier. La preuve en est qu’à mesure qu’il avance dans ses investigations, François Bibonne découvre qu’en fait, la musique classique est en plein essor, dans notre pays. Il n’est que de voir le nombre d’écoles de musique qui se créent ça et là - et avec quel dynamisme! - pour en être convaincu! De là à prédire que d’ici quelques années, le Vietnam aura lui aussi de jeunes pianistes prodiges, il n’y a qu’un pas… Il en a d’ailleurs déjà eu un: Dang Thai Son, qui avait stupéfié le monde entier en remportant le très prestigieux concours Chopin en 1980, et qui depuis, mène une carrière internationale de très haut vol…
Mais revenons-en aux aventures de François Bibonne, documentariste en prise avec un sujet jusqu’ici inexploité, mais aussi avec la barrière de la langue. Eh oui! Pas évident pour un jeune Parisien de se retrouver ainsi au Vietnam sans en connaître la langue… Pas évident, non plus, de se retrouver seul, à dix mille kilomètres de chez soi, en plein choc culturel… Mais bon, là encore, nous avons manifestement affaire à un jeune homme plein de ressources…
«C’est difficile la première année...», admet-il. «À chacun sa méthode, mais je crois que le mieux, c’est de se laisser guider par son cœur… On peut traverser des périodes de crise existentielle, loin de sa famille et de son pays. Mais aujourd’hui, les réseaux sociaux raccoursisent les distances, et finalement, on n’est jamais vraiment séparé des siens.»
François Bibonne (dtoite) rencontre l’artisan Nguyên Van Cuong dans son atelier de fabrication de clairons (village de Pham Phao, commune de Hai Minh, district de Hai Hâu, province de Nam Dinh) (photo: Tùng Duong).
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En un an de Vietnam, François Bibonne s’est constitué une archive vidéographique assez incroyable. Au départ, son documentaire ne devait excéder les 90 minutes. Seulement, la pandémie de Covid-19 s’en est mêlée, qui l’empêche de retourner en France, et le contraint à approfondir sans cesse son sujet et à envisager désormais non plus un film documentaire, mais une série de films documentaires… De là à prétendre que la pandémie a du bon… À chacun de juger!...
Les documentaires de François Bibonne, qu’il a choisi de dédier à sa grand-mère vietnamienne, devraient a priori être diffusés sur des plateformes telles que Netflix, AppleTV, ou HBO, ce qui devrait leur assurer une large audience. Mais l’aventure ne va pas s’arrêter là…
«J’ai un autre projet à réaliser cet été, qui concerne la Thaïlande, cette fois… L’idée, c’est de faire une sorte de tour du monde de la musique classique», nous explique François Bibonne.
Voilà qui promet de nouvelles découvertes, sans aucun doute passionnantes… Voilà aussi qui nous conforte dans l’idée que la musique classique a une dimension universelle, qu’elle transcende aussi bien les époques que les frontières…