En effet, pour parler de BD, il faut savoir ce qui est
considéré comme tel et donc pouvoir dire quand la bande dessinée est apparue.
Photo: Duc Quy/VOV
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«Des histoires en images, il en a toujours existé, sur toutes sortes de
formes et de supports: des peintures, des vitraux, des broderies, des portes
sculptées en bronze, toutes sortes d’objets dans différentes civilisations. Ils
ont, depuis des siècles et même parfois des millénaires, raconté des histoires
en images. Par exemple nous en France, si vous rentrez dans n’importe quelle
église, vous avez la passion de Jésus Christ, son martyre est raconté en 14
stations, 14 images. Toujours les mêmes dans toutes les églises de France.
C’est un récit en images. Alors est-ce qu’on peut dire que c’est de la bande
dessinée?», nous explique l’historien belge Thierry Groensteen, chargé de mission à la cité
internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême, qui a présidé des
événements sur la bande dessinée française à l’Institut français de Hanoï.
Pendant très longtemps, les historiens de la bande dessinée ont débattu à
ce sujet et aujourd’hui un certain consensus semble avoir été trouvé sur
l’inventeur de la bande dessinée. Son nom? Rodolphe Töpffer. Ce pédagogue,
écrivain, politicien et auteur de bandes dessinées a été un pionnier qui a
dicté les bases du genre.
«Rodolphe Töpffer était francophone mais pas français puisqu’il habitait à
Genève qui se trouve aujourd’hui en Suisse, un pays qui n’existait pas à son
époque. Il a vécu au cours de la première moitié du XIXe siècle. Il est mort en
1846. Et Töpffer a publié sept livres qui sont considérés aujourd’hui comme les
premiers albums de bandes dessinées», indique Thierry Groensteen. «Alors, est-ce
qu’il y a des différences par rapport à toutes ces histoires en images qui
existaient auparavant? Eh bien d’abord, la bande-dessinée, c’est un art de
l’imprimé. La bande dessinée va trouver comme support la presse d’un côté et le
livre de l’autre côté. C’est donc sur les supports imprimés qu’elle va se
développer au XIXe et au XXe siècles. Et d’autre part la bande dessinée, c’est
une littérature, c’est comme ça que Töpffer lui-même la définissait, il disait:
‘Désormais il y aura deux sortes de littératures. Il y a la littérature
classique qui est faite avec des mots que l’on aligne les uns derrière les
autres et il y a la littérature en images qui est faite avec des séquences
d’images et des mots qui viennent également apporter leur contribution’. Et il insistait
beaucoup sur le caractère indissociable du texte et de l’image. Il disait que
le texte sans les images est incompréhensible et les images sans le texte ne
racontent rien. Il faut le concours des deux et ça, c’est une assez bonne
définition de la bande dessinée en général».
Une page de la BD «Les amours de monsieur Vieux Bois». Photo: Internet
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Dessinée en 1827, «Les amours de monsieur Vieux Bois» est une «littérature
en estampes» de Rodolphe Töpffer. Elle est aujourd'hui considérée
comme la première bande dessinée connue et aurait été publiée en 1837.
Le titre présentait une série de dessins autographiés au trait, chacun d’entre
eux accompagné d’une ou de deux lignes de textes. On est encore loin du format
cartonné actuel tandis que ni les bulles de dialogue ni les couleurs n’avaient
fait leur apparition.
«Monsieur Vieux Bois est amoureux d’une femme qu’il a vu passer dans la rue
et comme elle ne s’intéresse pas à lui, eh bien il se suicide. Tout au long de
l’album, il va se suicider de nombreuses fois mais heureusement il a raté à
chaque fois son suicide. Par exemple, il essaie la pendaison. Heureusement la
corde est trop longue. Au bout de 48 heures, entendant la voix de cette femme
aimée dans la rue, monsieur Vieux Bois oublie qu’il est pendu et il se précipite
dans cette direction. Il entraîne derrière lui cette poutre et il va évidemment
dans la rue déclencher de nombreuses catastrophes, entraînant cet objet encombrant
derrière lui. Ça c’est très caractéristique de l’art de Töpffer qui introduit
la bande dessinée comme littérature. Qu’est-ce que ça veut dire? Ça veut dire
qu’il invente des histoires comme un romancier. Il ne raconte pas des histoires
que tout le monde connaît déjà, des histoires tirées des livres saints ou de la
grande histoire de faits historiques, de faits mythologiques, de faits
religieux. Non. Il crée des personnages de fiction. Monsieur Vieux Bois
n’existe pas, c’est un personnage inventé de toutes pièces, personnage ridicule
dont il raconte l’aventure», raconte l’historien belge.
Rodolphe Töpffer a donc pensé la bande dessinée comme une nouvelle forme de
littérature et c’est un auteur qui reste extrêmement drôle à lire aujourd’hui.
Les albums de Töpffer gardent une fraîcheur extraordinaire qui agit encore sur
nous, lecteurs modernes. Par ailleurs, Töpffer a été imité tout au long du XIXe
siècle. Il y avait d’autres livres de bandes dessinées qui sont parus et qui sont
restés fidèles au format caractéristique des albums «töpfferiens», c’est-à-dire
un format horizontal que l’on appelle «à l’italienne».