Quoi que ce soit sa forme, en bâtonnet, en cône ou en serpentin, cet encens ouvert est d’un usage très courant, au Vietnam. L’encens fermé, lui, n’est réservé qu’aux grandes occasions, à commencer par la plus grande de toutes, le Têt.
Monsieur Dinh roule des ingrédients dans du papier
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Trân Dinh est issu d’une véritable lignée de producteurs de «huong kin» de la province de Ninh Binh. Pour lui, tout se joue à l’approche du Têt. «Mon arrière grand-père exerçait déjà ce métier-là, c’est dire… Je me rappelle que quand j’avais huit ou neuf ans, je devais aider mes parents à faire de l’encens pour le Têt. Il fallait préparer les ingrédients dès le onzième mois lunaire et pendant tout le mois qui suivait, tout le monde était sur le pont. C’était très pénible. On commençait à 6-7h du matin et on ne finissait jamais avant 23h. À partir du dixième jour du dernier mois lunaire, j’allais au marché pour vendre mes bottes d’encens. Dans une main, j’avais trois bâtonnets allumés, histoire que les acheteurs puissent sentir, et dans l’autre, une botte entière», se souvient-il.
Il faut rouler lentement de droite à gauche de manière que la poudre soit retenue dans du papier
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Si à l’époque, le jeune Dinh n’aimait pas vraiment passer des heures et des heures à rouler de la poudre parfumée dans du papier, aujourd’hui, du haut de ses 66 ans, il cherche à reproduire ces fragrances d’enfance. «Je garde gravée dans ma tête la recette du meilleur encens fermé. Il faut de l’écorce de cannelier, de la badiane et de la cardamome brune. On peut ajouter du bois d’Agar, mais c’est facultatif. L’ingrédient le plus important, c’est la racine de ‘huong bài’, une plante médicinale qui se pousse un peu partout à Ninh Binh, dans les collines, mais aussi dans les allées et dans les jardins. Une fois brûlée, elle sent très bon et apporte un effet relaxant», nous explique-t-il.
La racine de "huong bài"
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Cette fameuse racine, Dinh se la procure par l’intermédiaire de son frère. Pour les autres ingrédients, il sait pouvoir compter sur une pharmacie traditionnelle située à deux kilomètres de son domicile.
La pharmacie traditionnelle se situe dans une minuscule de ruelle
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«Quand la récolte est récente, les épices contiennent encore beaucoup d’essences. La peau de la cannelle doit être sèche et son parfum doit être tiède. L’anis, lui, doit être prononcé. Quant à la cardamome brune, elle doit être douce et sèche. Au Vietnam, c’est dans les provinces de Yên Bai et de Hà Giang que l’on peut trouver ces ingrédients-là, avec une qualité optimale», nous explique le vendeur.
Les épices découpées en petits morceaux...
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Les épices, découpées en petits morceaux, sont placées dans une broyeuse pour être réduites en poudre. Tout le quartier sent l’odeur enivrante et envoûtante de la cannelle, le goût anisé et poivré de la badiane, la saveur puissante et camphrée de la cardamome brune, l’odeur forte et tenace de la racine évoquée plus haut, qui s’appelle huong bài. Constitué de plantes médicinales et d’ingrédients comestibles, cet encens fermé ne provoque pas de maux de crâne lorsqu’il est allumé dans un espace hermétique. Par ailleurs, la cendre qu’il génère est de couleur gris clair, ce qui est toujours mieux que le noir, qu’il faut en principe éviter au moment du Nouvel An lunaire.
... avant d'être broyées
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«Dans la médecine traditionnelle, ces épices ont toutes le caractère ‘chaud’, ce qui revient à dire qu’elles permettent de contrer l’humidité et le froid typique du printemps dans le nord. Selon les superstitieux, cet encens est même capable de chasser les âmes maléfiques! Pour moi, cet encens fermé se rapporte aux saveurs du Têt d’antan, car il utilise les mêmes épices que le ‘banh chung’ et les plats sautés spécifiques de ma province», nous explique Trân Dinh.
Trân Dinh plante un bâtonnet fraîchement roulé sur l’autel des ancêtres, qui est fleuri d’une branche de pêcher, et sur lequel trônent un plateau de fruits, une paire de banh chung et des fruits confits. Un parfum tiède et agréable est diffusé et complète graduellement l’ambiance du Têt.