Un modèle de polyculture où le macadamia est cultivé en association avec le café. |
Dans la commune de Tuân Giáo, l'agriculture et la foresterie font vivre près de 90% des foyers. Plus de 75% des terres cultivées sont en pente, et elles sont souvent exploitées en monoculture: macadamia, café, maïs... Mais ce modèle a atteint ses limites. Les prix varient, les sécheresses et épisodes de gel frappent plus souvent. Résultat: la vulnérabilité des familles rurales augmente. Solution ? Diversifier les cultures !
Pour mieux comprendre les enjeux de cette diversification, nous avons rencontré Pascal Lienhard, agronome et chercheur au CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), l’un des partenaires du projet ASSET.
Pascal Lienhard, agronome et chercheur au CIRAD (droite) |
"La diversification des systèmes agricoles est importante pour deux raisons principales. La première est économique. On sait que le prix des produits varie fortement d'une année sur l'autre. C'est un problème pour les agriculteurs. Les systèmes diversifiés, eux, permettent d’atténuer ces variations de prix entre les différentes productions agricoles et ce faisant d'assurer aux producteurs des revenus plus stables d'une année sur l'autre. Mais il y a aussi une dimension environnementale. Les systèmes diversifiés sont plus résilients face aux événements climatiques extrêmes, qui vont, on le sait, se multiplier dans les années à venir. On a par exemple tous en tête les épisodes de gel, de grand froid dans le nord-ouest du Vietnam qui ont détruit beaucoup de caféiers en 2019, des caféiers qui étaient cultivés en monoculture. Par contre, les caféiers qui étaient associés à des arbres, eux, n'ont pas été affectés parce qu 'ils ont été protégés du froid par les arbres”, nous explique-t-il.
Pour accompagner cette transition, le projet ASSET teste depuis 2023 de nouveaux modèles agricoles avec les agriculteurs de Tuân Giao.
“Le projet appuie les agriculteurs et les services agricoles locaux pour tester et évaluer des modèles de cultures diversifiées. Pour l’instant, on teste l’association de macadamias avec d’autres espèces pérennes, comme le café, l’ananas, la cannelle, ou même d’autres espèces qui pourraient être aussi annuelles, comme les haricots et les plantes rampantes”, précise Pascal Lienhard.
Pascal Lienhard et son équipe testent la santé des sols dans une parcelle cultivée en association d’herbe et de macadamia. |
Pour les promoteurs du projet, il s’agit de lancer des initiatives destinées à rendre les systèmes de production de café et de macadamia plus résilients et durables. Cela peut se traduire par l’expérimentation de variétés de café adaptées aux conditions d’ombrage et de sécheresse, par la mise en avant de modèles de diversification paysagère, mais aussi par le renouvellement des caféiers vieillissants via le greffage de variétés améliorées. Concernant le macadamia, des pratiques d’interculture sont mises en place, combinant des bandes herbeuses pour limiter l’érosion et des cultures associées telles que le fourrage, le café, le gingembre ou l’arachide.
Quàng Van Thuy (à gauche) visite son modèle de culture durable du macadamia à Tuân Giao |
L’impact du projet se ressent directement dans le quotidien des agriculteurs. À Bo Giang, qui est un village de la commune de Tuân Giao, nous avons rencontré Quàng Van Thuy et Lò Van Suong, deux agriculteurs impliqués activement. Le premier cultive 6 hectares de macadamia associés au café et le second 4 hectares de macadamia et café.
“Le projet nous a aidés à changer notre façon de penser, à passer de la monoculture à la polyculture avec différentes cultures de saison. L'efficacité économique est très claire. Sur la même parcelle de terrain, on peut obtenir plusieurs produits agricoles de grande valeur économique, ce qui contribue grandement à la lutte contre la pauvreté dans la région", constate Quàng Van Thuy.
A Tuân Giao, Lò Van Suong cultive 4 hectares de macadamia et café |
“Le projet nous a aiguillé sur des cultures intercalaires comme le café, les arachides, ou les haricots, ce qui donne de bons résultats”, renchérit Lò Van Suong.
Pour les autorités provinciales, la diversification s’inscrit dans une stratégie à long terme. C’est en tout cas ce qui ressort des propos de Lê Xuân Canh, directeur du Service de l’Agriculture et de l’Environnement de Diên Biên.
Lê Xuân Canh, directeur du Service de l’Agriculture et de l’Environnement de Diên Biên |
"Ici, nous nous concentrons sur deux cultures principales: le macadamia et le café. Développer ces cultures, c’est offrir aux habitants des revenus stables et des moyens de subsistance durables. Le macadamia, arbre à longue vie pouvant dépasser plusieurs siècles, n’est pas seulement une richesse économique : il joue aussi un rôle environnemental essentiel. En tant qu’arbre forestier, il augmente la couverture végétal, limite l’érosion des sols et aide à faire face aux aléas climatiques, comme les glissements de terrain ou les crues soudaines. Et, cerise sur le gâteau, il peut même générer des crédits carbone”, nous explique-t-il.
Les obstacles subsistent néanmoins: manque de politiques incitatives, accès limité aux plants, marché peu structuré… Pour Pascal Lienhard, l’accompagnement est crucial.
“Dans un contexte de forte variabilité dans la distribution des pluies, les agriculteurs ont très peur de la compétition entre espèces pour l'eau. Ils ont peur que les plantes associées induisent des pertes de rendement sur leur culture principale, ce qui pourrait effectivement être le cas si les systèmes ne sont pas bien gérés, c’est à dire si on ne respecte pas la densité de plantation, si on n'effectue pas la taille nécessaire des arbres, etc. Une autre difficulté est aussi que les aides de l'État visent en général une seule culture, un seul produit agricole sur un territoire donné. C'est par exemple ce que l'on trouve dans la province de Diên Biên, où la grande majorité des aides visent la plantation et le développement du macadamia, mais très peu les autres espèces qui pourraient lui être associées et qui pourraient permettre une plus grande résilience des producteurs”, nous dit-il.
Pascal Lienhard et son équipe procèdent à une analyse des sols |
Bien sûr, des défis persistent. Les premiers résultats n’en demeurent pas moins très prometteurs.
“Il est un peu tôt pour comparer les performances économiques entre les systèmes diversifiés et les systèmes en monoculture. Par contre, les premiers résultats sont assez prometteurs. Les agriculteurs voient que la croissance des arbres associés ne nuit pas à la croissance ni à la production des caféiers ou des macadamias, et que ces derniers sont souvent plus verts sous ombrage qu'en plein soleil. Nous avons déjà par ailleurs des résultats sur l'impact des systèmes diversifiés sur la santé des sols. Cette santé des sols a par exemple augmenté de 16 % après seulement 2 ans dans des systèmes avec des plantes de couverture associées”, nous fait remarquer Pascal Lienhard.
Diversifier, c’est investir sur le long terme. À Tuân Giao, cette démarche ouvre la voie à une agriculture plus résiliente et durable, grâce à la coopération franco-vietnamienne.
Projet ASSET – Transition vers une agriculture écologique et des systèmes alimentaires plus sûrs au Vietnam
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Financeurs : Agence Française de Développement (AFD), Union européenne (facilité DESIRA) et Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM)
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Coordination : Groupement de recherche et d’échanges technologiques (GRET) et Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)
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Partenaire vietnamien : Académie des sciences agronomiques du Vietnam (VAAS), l'Institut national des sciences animales (NIAS), et l'Institut des stratégies et politiques agricoles et environnementales (ISPAE)
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Période : 2022 – 2025
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Zone d’intervention : Provinces de Son La et Diên Biên
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Budget : Environ 2 millions d’euros