Une relation bilatérale relancée
Le roi Charles du Royaume-Uni et le président français Emmanuel Macron. Photo d'archives: Chris Jackson/Pool via REUTERS |
Cette visite s’inscrit dans la continuité du sommet Union européenne–Royaume-Uni qui s’est tenu à Londres en mai dernier. Un sommet perçu par de nombreux observateurs comme un «redémarrage complet» des liens entre Londres et Bruxelles, mais aussi entre Londres et Paris. D’aucuns estiment que le réchauffement des relations franco-britanniques est facilité par l’accession au trône du roi Charles III à l’été 2023, un monarque francophile, et par l’arrivée de Keir Starmer, leader travailliste pro-européen, au poste de Premier ministre.
Pour illustrer cette nouvelle entente, Londres a décidé de réserver à Emmanuel Macron les plus hauts honneurs: entretien avec le Premier ministre, dîner d’État au château de Windsor offert par le souverain britannique, et discours solennel devant les deux chambres du Parlement de Westminster.
Le défi migratoire au cœur des discussions
Le Premier ministre britannique Keir Starmer lors d'une réunion entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, visant à renforcer leurs relations, à l'occasion de leur tout premier sommet officiel post-Brexit, à Londres, le 19 mai 2025. Photo d’archives: Kin Cheung / Pool via REUTERS |
Derrière cette mise en scène fastueuse se cache néanmoins une série de défis concrets, au premier rang desquels la question migratoire. Le franchissement illégal de la Manche par des migrants depuis les côtes françaises vers l’Angleterre reste un sujet hautement sensible.
La coopération actuelle repose sur les accords du Touquet de 2003, par lesquels Londres finance les efforts des autorités françaises pour contenir les départs dès leur origine. Or, les résultats ne sont pas au rendez-vous: près de 20.000 traversées ont été recensées depuis le début de l’année, soit une hausse de 42% par rapport à 2024. Côté britannique, on dénonce une efficacité insuffisante; côté français, on estime que les moyens alloués (543 millions d’euros entre 2023 et 2026) sont dérisoires.
«Ce n’est pas parce qu’on donne de l’argent que la situation va se régler. Ils pensent qu’ils donnent de l’argent et que les Français vont faire le travail, mais ils savent très bien comment fonctionne notre système hiérarchique et où va l’argent. On se doit de trouver d’autres solutions», alerte Régis Debut, représentant du syndicat de la police française.
Le président Macron et le Premier ministre Starmer devraient justement annoncer de nouvelles mesures conjointes entre les forces de l’ordre des deux pays. Londres pousse également pour un mécanisme dit du «un pour un»: pour chaque demandeur d’asile accepté par la Grande-Bretagne depuis la France, un réfugié serait renvoyé en France. Cette proposition reste toutefois sujette à désaccords.
Défense européenne: un axe Paris–Londres stratégique
Au-delà des enjeux migratoires, la sécurité et la défense occupent une place centrale dans cette visite. Depuis la signature des accords de Lancaster House en 2010, les armées française et britannique coopèrent étroitement. Mais le contexte géopolitique tendu — conflit russo-ukrainien, incertitudes américaines, tensions globales — pousse à renforcer et élargir cette alliance.
Paris et Londres veulent désormais inclure d’autres partenaires européens dans ce cadre, notamment l’Allemagne, la Pologne, voire l’Italie et l’Espagne dans une moindre mesure. Une illustration concrète: les deux pays sont en première ligne pour promouvoir une «coalition des volontaires» prête à envoyer des forces de maintien de la paix en Ukraine, en cas de cessez-le-feu durable.
La France souhaite par ailleurs une participation britannique accrue dans le Triangle de Weimar (France, Allemagne, Pologne), pour muscler la posture stratégique de l’Europe.
«Le principal domaine de coopération que les deux capitales souhaitent renforcer, c’est la défense. La France et le Royaume-Uni ont des capacités équivalentes dans l’industrie de l’armement et sont les seuls États européens dotés de l’arme nucléaire. Cela leur donne une approche commune de la diplomatie: ils veulent peser», souligne Sébastien Maillard, conseiller spécial à l’Institut Jacques Delors et chercheur associé à Chatham House.
Sur le long terme, le rapprochement militaire franco-britannique pourrait avoir un impact stratégique majeur pour l’Europe, dans un contexte où le désengagement sécuritaire des États-Unis inquiète de plus en plus.
«Il est temps que l’Europe assume la responsabilité de sa propre sécurité», a déclaré Keir Starmer lors du sommet UE–Royaume-Uni en mai. Une position inédite dans la classe politique britannique, traditionnellement alignée sur Washington.
Selon Sébastien Maillard, cette convergence de vues entre Paris et Londres pourrait influencer, dans une certaine mesure, la politique étrangère de l’administration américaine, notamment en matière d’aide à l’Ukraine, de négociations sur le nucléaire iranien, ou encore dans les tensions commerciales mondiales.