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Dans son Rapport annuel de suivi du commerce sur le Panorama de l’environnement commercial international, publié le 3 décembre, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) souligne que le commerce mondial affronte en 2025 des défis d’une ampleur inédite depuis près de 80 ans, alimentés par la multiplication des politiques tarifaires unilatérales et l’intensification des tensions géopolitiques à l’échelle mondiale.
Le défi majeur
Entre la mi-octobre 2024 et la mi-octobre 2025, près d’un cinquième des importations mondiales (19,7%) ont été touchées par de nouveaux droits de douane et des mesures équivalentes, contre 12,6% un an plus tôt, souligne l’OMC. En valeur, les importations mondiales concernées par ces restrictions atteignent 2.640 milliards de dollars, soit plus de quatre fois le niveau observé à la même période l’an dernier (611 milliards de dollars), un record depuis plus de quinze ans. Du côté des exportations, les échanges affectés sont estimés à près de 2.966 milliards de dollars, en hausse de plus de trois fois par rapport aux 888 milliards de dollars recensés dans le précédent rapport.
Pour la directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala, les fortes turbulences enregistrées au premier semestre de l’année, notamment après l’instauration de droits de douane réciproques par l’administration du président américain Donald Trump, constituent les défis les plus sérieux auxquels le commerce mondial ait été confronté depuis huit décennies. L’OMC avait d’ailleurs averti dès le mois de juin qu’en cas de fragmentation du commerce mondial en blocs rivaux, l’économie mondiale pourrait perdre au moins 7% de son PIB réel à long terme.
Ce scénario le plus sombre a toutefois été évité. Les États-Unis et plusieurs partenaires ont engagé des négociations et conclu de nouveaux accords commerciaux tandis que Washington et Pékin, les deux premières économies mondiales, se sont entendus pour suspendre la guerre commerciale pendant un an. Ces avancées ont permis de maintenir la croissance du commerce mondial de marchandises autour de 2,4% cette année. Le 9 décembre, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a par ailleurs prévu que les échanges mondiaux de biens et de services franchiraient, pour la première fois, le seuil des 35.000 milliards de dollars en 2025.
Pour autant, malgré ce passage à travers de puissants «vents contraires», les secousses de l’année continuent d’alimenter le débat sur le rôle et l’urgence d’une réforme du système commercial multilatéral, dont l’OMC demeure le pilier central.
“Les États-Unis font part de préoccupations légitimes et compréhensibles à l’égard de l’OMC et du système commercial multilatéral. D’autres membres de l’OMC, pays développés comme économies en développement, expriment également leurs propres réserves. Autant de préoccupations qui pourraient servir de levier pour engager une réforme en profondeur du système”, a souligné la directrice générale de l'OMC, Ngozi Okonjo-Iweala.
Point encourageant, selon l’OMC, près de 72% des échanges mondiaux continuent de s’opérer dans le cadre du régime de la nation la plus favorisée (NPF). En parallèle de la montée des tendances protectionnistes, les membres et observateurs de l’OMC renforcent également les mesures destinées à faciliter le commerce des marchandises. Lors du dernier cycle d’examen mené par l’Organe d’examen des politiques commerciales (OEPC) au début du mois de décembre, 331 nouvelles mesures ont été recensées, pour une valeur commerciale estimée à 2.090 milliards de dollars, soit environ une fois et demie le montant enregistré dans le précédent rapport (1.441 milliards de dollars).
Perspectives pour 2026
À l’horizon 2026, les perspectives du commerce mondial restent prudentes. L’OMC, la CNUCED et d’autres institutions économiques s’accordent sur un environnement marqué par de fortes incertitudes. Selon Marc Bachetta, économiste principal à l’OMC, l’instabilité des politiques nationales, en particulier dans les grandes économies, continuera de peser sur les échanges. Dans ce contexte, l’OMC prévoit une croissance du commerce mondial de marchandises limitée à environ 0,5% en 2026. La CNUCED partage cette analyse et anticipe un ralentissement des échanges, en raison du fléchissement de l’économie mondiale, de l’augmentation de l’endettement et de coûts commerciaux toujours élevés.
Des éléments plus positifs pourraient toutefois améliorer la situation. La demande croissante pour les produits liés aux technologies de l’intelligence artificielle (IA) apparaît comme l’un des principaux moteurs. D’après l’OMC, la valeur de ces échanges a augmenté de 20% au premier semestre 2025, contribuant à près de la moitié de la croissance du commerce mondial, alors qu’ils ne représentent qu’environ 10% du commerce total de marchandises. L’IA pourrait ainsi jouer un rôle déterminant dans l’évolution du commerce mondial dès l’an prochain, a estimé Johanna Hill, directrice générale adjointe de l’OMC.
“L’IA fait figure de point lumineux pour le commerce mondial dans un environnement international toujours plus complexe. Elle offre des opportunités pour réduire les coûts des échanges, stimuler la production et renforcer l’intégration aux marchés mondiaux. Mais le potentiel de l’IA à soutenir une croissance plus inclusive ne pourra se réaliser que si des actions déterminées sont menées pour combler la fracture numérique”, a-t-il expliqué.
Toujours selon le rapport de la CNUCED publié le 9 décembre, la progression du commerce mondial l’an dernier a été portée avant tout par la hausse des volumes échangés, reflet d’une demande globalement solide, et non par une flambée des prix de nature inflationniste. En parallèle, la réorientation des échanges vers des partenaires politiquement alignés ou géographiquement proches est en train de redessiner les chaînes commerciales mondiales. Cette dynamique se manifeste de manière particulièrement nette en Asie de l’Est, région en tête de la croissance des exportations l’an dernier avec une hausse de 9% tandis que le commerce intra-régional y a progressé de 10%. Dans le même temps, l’Afrique et le commerce Sud-Sud ont enregistré un rebond marqué, confirmant le rôle de plus en plus structurant des économies émergentes dans la recomposition des flux du commerce mondial.