La délégation américaine quitte son hôtel à Damas, en Syrie, le 20 décembre 2024. Photo: AFP |
Le 19 décembre, une délégation américaine de haut niveau, dirigée par Barbara Leaf, secrétaire d’État adjointe pour le Moyen-Orient, s’est rendue pour la première fois depuis plus de 13 ans à Damas, capitale syrienne. Cette visite, destinée à discuter des relations futures avec les nouvelles autorités syriennes, marque un tournant majeur dans l’histoire politique d’un pays ravagé par plus d’une décennie de guerre.
Des signaux diplomatiques encourageants
Dans une déclaration publiée à l’issue des premières discussions avec les dirigeants de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), groupe islamiste actuellement au pouvoir en Syrie, la délégation américaine a envoyé un message positif. HTS s’est engagé à empêcher toute activité terroriste menaçant la Syrie ou d’autres pays, y compris les États-Unis et leurs partenaires régionaux. Les nouvelles autorités syriennes ont également exprimé leur volonté de construire des relations pacifiques avec les États-Unis. À la suite de cette rencontre, Washington a officiellement annulé la récompense de 10 millions de dollars offerte pour l’arrestation d’Ahmed Al-Sharaa, chef du HTS.
Cette ouverture américaine a encouragé plusieurs nations à renouer des liens diplomatiques avec la Syrie. Le 21 décembre, le Qatar a annoncé la réouverture de son ambassade à Damas, fermée depuis 13 ans. D’autres pays arabes, comme l’Arabie Saoudite et la Jordanie, ont également dépêché des délégations diplomatiques en Syrie. La Turquie, acteur majeur des récentes évolutions politiques dans le pays, avait déjà rouvert son ambassade le 14 décembre et formulé plusieurs engagements de soutien diplomatique et militaire envers les nouvelles autorités. Même des pays autrefois proches du régime de Bachar el-Assad ont exprimé leur soutien à la paix, tout en réaffirmant leur attachement à l’intégrité territoriale de la Syrie.
Le drapeau qatari flotte devant l'ambassade du Qatar à Damas, en Syrie, le 21 décembre 2024. Photo: Xinhua |
Selon les observateurs, ces bouleversements politiques incitent les pays de la région et les grandes puissances à rivaliser d’influence en Syrie. Bader Al-Saif, expert au sein du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord de Chatham House (Royaume-Uni), estime que cette compétition reste pour l’instant relativement pacifique, tout en soulignant la fragilité du processus de paix.
«L’avenir de la Syrie est souvent perçu soit comme chaotique et instable, soit comme porteur d’espoir et de bonnes nouvelles. Ces deux visions sont erronées. L’avenir de la Syrie sera un mélange des deux. Nous devons comprendre que ce processus en est encore à ses débuts», note-il.
Cette vision rejoint celle exprimée par Ahmed Al-Sharaa, leader du HTS, lors de ses premiers échanges avec des représentants diplomatiques étrangers. Selon lui, le processus de paix doit être avant tout piloté par les Syriens eux-mêmes.
«L’essentiel est que les grandes puissances s’accordent sur des principes fondamentaux concernant la Syrie. Cela inclut l’indépendance dans la prise de décisions, l’unité territoriale et la stabilité sécuritaire. En outre, il est primordial d’aider la Syrie à résoudre les problèmes économiques et sociaux qui touchent notre population», dit-il.
Ahmed Al-Sharaa, leader du HTS. Photo: PSB |
Une urgence humanitaire
Pour la communauté internationale, ce nouveau contexte politique représente une occasion de résoudre l’une des plus graves crises humanitaires de la dernière décennie: la question des réfugiés syriens. Selon l’ONU, la formation d’un nouveau gouvernement en Syrie pourrait permettre le retour d’au moins un million de réfugiés dans les six prochains mois. Des millions d’autres pourraient suivre si la situation politique et économique continuait de s’améliorer.
Cependant, un tel afflux de réfugiés pose des défis majeurs. Après plus d’une décennie de conflit, l’économie syrienne est exsangue et les infrastructures de nombreuses grandes villes, comme Alep, Hama et Homs, sont en ruines. Accueillir des millions de personnes pourrait submerger les nouvelles autorités syriennes et compromettre le fragile processus de paix.
«Ce que nous observons sur le terrain, c’est un retour massif de réfugiés dans un contexte extrêmement fragile. Cela pourrait submerger la Syrie et entraîner des répercussions encore plus graves sur un processus de paix déjà très précaire», avertit Amy Pope, directrice générale de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Des réfugiés syriens rapatriés au poste-frontière de Cilvegozu, à Reyhanli, dans la province de Hatay, en Turquie, le 12 décembre 2024. Photo: THX/TTXVN |
Pour relever ces défis humanitaires, la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie (UNCIS) a récemment lancé un appel urgent en faveur de la levée des sanctions internationales contre la Syrie. Cette mesure permettrait de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire à des millions de personnes en détresse. Paulo Sérgio Pinheiro, président de l’UNCIS, a souligné que les sanctions actuelles ont des effets désastreux, en particulier sur les populations vulnérables. Il a plaidé pour un allègement des sanctions afin d’accélérer la reconstruction du pays et d’améliorer les conditions de vie des Syriens.
En attendant une aide internationale plus robuste, les autorités intérimaires syriennes s’efforcent de stabiliser la situation intérieure. Le 19 décembre, Maher Khalil al-Hassan, ministre par intérim du Commerce intérieur, a annoncé une série de réformes économiques, dont une augmentation des salaires pouvant atteindre 400% et la suppression des subventions sur certains produits stratégiques. Ces mesures visent à libéraliser l’économie, limiter les abus et offrir un répit temporaire à la population syrienne, en attendant une intensification des efforts humanitaires internationaux.