Une antre de Vulcain à la hanoienne

Hoa Ha
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(VOVworld) - Industrialisation oblige, on finit par oublier que les mains de l’homme peuvent être un fabuleux outil de travail. Mais pas au 26 rue Lo Ren, la rue des Forgerons, où Nguyen Phuong Hung forge, encore et toujours, à la force de ses bras, dernier survivant d’une époque presque révolue où les marteaux tintaient de l’aube jusqu’au crépuscule, d’une époque où sa rue était l’antre de Vulcain.      

(VOVworld) - Industrialisation oblige, on finit par oublier que les mains de l’homme peuvent être un fabuleux outil de travail. Mais pas au 26 rue Lo Ren, la rue des Forgerons, où Nguyen Phuong Hung forge et encore et toujours, à la force de ses bras, dernier survivant d’une époque presque révolue où les marteaux tintaient de l’aube jusqu’au crépuscule, d’une époque où sa rue était l’antre de Vulcain.

 Une antre de Vulcain à la hanoienne - ảnh 1
Photos : VOV/Hoa Ha


Pas évident de dénicher la petite forge de Nguyen Phuong Hung, au milieu du vacarme assourdissant qui règne sur la rue Lo ren, en plein coeur du vieux quartier de Hanoi.  C’est grâce à la flamme du seul four encore en activité rue que je reconnais le monsieur. Dans un espace sombre et étroit, au milieu d’objets en fer, le dernier forgeron de Hanoi sourit en voyant surgir une inconnue.

Habitué aux visites des journalistes et des étrangers, Nguyen Phuong Hung me met à l’aise. Pas question pour lui de s’épancher sur le passé. Ce qui l’intéresse, c’est de vivre sa passion au quotidien.     

« Depuis une bonne vingtaine d’année, la rue perd son cachet. Tout le monde veut se lancer dans le commerce, maintenant. Pas moi. Moi, ce que je veux, c’est être forgeron, un point c’est tout. Remarquez, vu que tout le monde a abandonné le métier, j’en ai le quasi-monopole maintenant ! Vous savez, si on prend son métier à coeur, on est vite récompensé. Pour moi, façonner quelque chose de mes propres mains, c’est vraiment une joie, et même une fierté. »

Une antre de Vulcain à la hanoienne - ảnh 2 

Même avec son visage noirci de suie, ses bras tachetés de brûlures, sa vieille chemise raidie par la crasse et la sueur, Nguyen Phuong Hung n’arrive pas à nous faire croire que son métier est pénible, tant il semble satisfait de l’exercer.  

« Je me dis souvent en plaisantant que je pourrais faire le tour du monde sans passeport. Pourquoi ? Parce que beaucoup d’étrangers viennent ici. Ils me filment, ils me prennent en photos et ils me présentent comme le dernier forgeron en activité de la capitale. Moi, j’assume ! Quand on se sent vraiment fait pour un métier, on est toujours à l’aise, de toute façon. Mon seul regret, c’est que les jeunes snobent tout ça, maintenant. Tenez, même mes enfants, ils ne savent pas ce que c’est, un four !... A chacun de trouver sa voie, en même temps. Moi, je ne force personne à nier le marteau et l’enclume. N’empêche que je trouve que c’est important de faire quelque chose de beau pour soi ou pour sa famille. »     

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Un métier rude, donc, qui laisse des empreintes, pas seulement sur le visage, mais surtout sur les oreilles, qui sont sérieusement malmenées... Qu’à cela ne tienne... Pour Nguyen Phuong Hung, la forge, ce n’est pas un métier, c’est une véritable vocation.   

« C’est grâce à ce métier que je ne bois pas, que je ne fume pas... Je ne mange jamais au restaurant, uniquement chez moi, les plats de ma femme...  A mon âge, je pourrais sortir de temps en temps, mais ça ne me dit rien, en fait. Ça m’est déjà arrivé, de retour d’un mariage, d’enlever immédiatement mon complet et de me remettre ausitôt au travail. Je suis comme ça, c’est tout ! Je n’éteins mes fours que pendant les jours du Têt, et encore, ce n’est pas vraiment de la détente, pour moi. Heureusement, mes clients m’appellent tout le temps, alors je me remets au travail. »   

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« Le son des marteaux nous ramène à une époque misérable. Avant, quand les rues étaient calmes et peu fréquentées, on se levait à cinq heures pour travailler. Alors, le son des marteaux, c’était un peu comme une symphonie triste. Il y avait du crachin, des chemins boueux, des femmes avec des pantalons en soie et des chemisiers noirs… L’atmosphère n’avait rien à voir avec ce qu’elle est de nos jours. Maintenant tout est trop agité. Et puis je me rappelle que les clients pouvaient venir commander et retourner le lendemain pour payer, il n’y avait jamais aucun problème. Maintenant, il faut se méfier en permanence... »   

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Eh oui !... Une époque révolue dont les trop rares échos ont bien du mal à parvenir à nos oreilles, fût-ce à coups de marteaux !... Peu importe, Nguyen Phuong Hung trace sa route, à sa manière, avec ce mélange de rigueur, de patience et de noblesse qui est la marque des artisans authentiques.    

 « Il est arrivé que des jeunes viennent ici pour apprendre le métier. Ils ont rendu leur tablier au bout de deux semaines ! Ce n’est pas un métier qui s’apprend en quelques jours ! Il faut s’entraîner à faire de petits gestes, apprendre comment utiliser les marteaux, comment se tenir debout, comment allumer le four… Ils n’aimaient pas ça, ces jeunes-là. ils voulaient travailler tout de suite et empocher de l’argent... Il faut au moins un mois pour acquérir les bases. C’est en persévérant qu’on réussit, pas en jouant les jeunes coqs ! »  

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Le four de la forge dispense une chaleur particulièrement bienvenue en cet après-midi hivernal. Depuis des décennies, Nguyen Phuong Hung regarde sa rue se transformer et sa rue le regarde, lui, continuer à travailler sereinement, comme si de rien n’était. Et qu’on ne vienne pas lui dire qu’il est obsolète. Il n’en a cure, du reste...  

 « C’est vraiment dommage la commercialisation actuelle de la société. J’espère que les jeunes finiront par en prendre conscience. C’est évident que l’artisanat va péricliter. Et quand on s’en apercevra, il sera déjà trop tard... »    

Notre conversation est soudain entrecoupée. Un client arrive avec une charnière.

«Nous sommes des clients fidèles de monsieur Hung. Il ne refuse aucune commande, que ce soit des outils ménagers ou des outils industriels. Il est très jovial, d’ailleurs. Hung me dit toujours que tout objet fait à la main a une âme, et que ceux qui sont faits à la machine n'ont rien de comparable. C’est ce qui fait toute l'originalité des produits artisanaux, notamment ceux faits par le dernier forgeron de Hanoi. Mais s’il n’exerce plus son métier, qui reprendra le flambeau?»  

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Hanoi n’aime pas remuer les cendres du passé, mais il arrive pourtant que ces mêmes cendres recouvrent un trésor enfoui. Lorsque Nguyen Phuong Hung aura cessé d’exercer son activité, qui se souviendra encore que la rue Lo Ren était une antre de Vulcain à la hanoienne?

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