Vincent Moon: Être disponible à l’instant, c’est déjà du cinéma

Thùy Linh
Chia sẻ
(VOVWORLD) - Douze ans après son premier passage au Vietnam, le cinéaste et artiste sonore français Vincent Moon est de retour à Hanoi. À cette occasion, il a accordé à notre radio une interview exclusive, dans laquelle il partage sa vision d’un cinéma libre, poétique et profondément humain. Rencontre avec un explorateur des sons et des images, qui se définit avant tout comme un observateur et qui s’attache à documenter la beauté du monde.  
Vincent Moon: Être disponible à l’instant, c’est déjà du cinéma - ảnh 1Photo: Thùy Linh

En fait, je refuse un peu l'idée d’être directeur. Et en fait, je n'aime pas trop l'idée de diriger les choses. J'aime bien me placer dans une position où je ne dirige pas mais où je suis dans un état d'accueil. J'accueille les musiques, j'accueille les rencontres... Et donc, toute ma vie, elle est placée sous le signe de cet état de disponibilité. Être disponible à l'autre, être disponible au moment, être disponible au moment présent... Je ne projette jamais mes films dans ma tête. Je n'écris pas mes films. Je les subis. Ou alors, les films se font parce que je suis là. Mais le film me dépasse. Et j'aime beaucoup être dépassé par ma propre création. Je pense qu'il y a un acte assez humble là-dedans.  

VOVworld: Le plan-séquence occupe une place centrale dans vos films. Est-ce pour vous une manière de restituer la réalité brute, ou plutôt de créer une forme de transe visuelle et sonore?

Les deux, en fait. Le plan-séquence me permet effectivement de créer un rapport d'intimité entre le spectateur et la personne qui est filmée par des longs plans en intimité, souvent très, très proche des gens. Je projette effectivement le spectateur là, dans ce moment, dans cette présence-là. Et cela me permet effectivement de travailler une forme qui a trait à une certaine hypnose visuelle et sonore. Donc, effectivement, il y a une certaine idée de la transe, de quelque chose qui nous transporte, qui nous emmène ailleurs et pas dans un monde de l'intellect, mais plutôt dans un monde des sensations. Arriver à retranscrire ce rapport physique m'intéresse beaucoup à travers le cinéma. Donc, l'idée de la transe au cinéma m'a toujours beaucoup intéressé et questionné. C'est ce que j'aime essayer d'explorer, le rapport entre la transe et les technologies modernes...

Vincent Moon: Être disponible à l’instant, c’est déjà du cinéma - ảnh 2Photo: Thùy Linh

VOVworld: Depuis votre premier voyage à Hanoi en 2013 jusqu’à votre retour aujourd’hui, quel regard portez-vous sur la scène artistique et musicale vietnamienne?

J'ai l'impression que quand je suis venu il y a 12 ans, il y avait effectivement une effervescence musicale, expérimentale, très intéressante. Les gens me disent qu'il y en a moins aujourd'hui. Alors, je ne sais pas, je viens d'arriver il y a trois heures… Donc, vraiment, je n'ai pas vu grand-chose. Je ne peux pas dire beaucoup de choses dessus. Mais je vais explorer dans les prochains jours et je vais enregistrer des musiques et j'aurai plus d'idées à la fin de la semaine. Mais en tout cas, j'aime l'idée de pouvoir revenir effectivement dans cette ville que j'aime beaucoup. J'aime énormément Hanoi. C'est une de mes villes préférées au monde, je pense. Et je suis heureux de retrouver cette délicatesse. Il y a une certaine esthétique en fait à Hanoi qui est très spéciale. J’arrive de Bangkok. C'est quand même très différent Bangkok. Ça a beaucoup moins de charme quand même. Hanoi est une ville merveilleuse, surtout au bord du lac.

VOVworld: Parmi les films, enregistrements ou projets que vous avez réalisés au Vietnam, lesquels vous semblent les plus représentatifs ou les plus marquants, et pourquoi?

Hanoise, c'est un film que j'aime beaucoup, qui fait 37 minutes. Et qui est une sorte de portrait un peu de la ville, de sa scène expérimentale et d'une certaine radicalité de l'approche musicale. Et ce film, je l'aime beaucoup. Après, au Vietnam, j'ai fait des films que j'aime énormément. J'avais fait un film dans les montagnes, au nord. J'avais fait un film ici sur le Lâm Dong, qui était hallucinant, très très fort aussi. Et puis, j'avais fait quelques films aussi vers le sud, notamment sur les Cao Dai. Donc, plein de choses très intéressantes. C'est un pays où il y a encore beaucoup à explorer. Je suis heureux. La semaine prochaine, je vais aller dans les montagnes du centre du Vietnam. Je vais explorer un peu plus par là-bas. Je me laisse aller à la découverte et aux rencontres.

Vincent Moon: Être disponible à l’instant, c’est déjà du cinéma - ảnh 3Photo: Thùy Linh

VOVworld: Comment parvenez-vous à tisser une relation de confiance avec les musiciens, les communautés locales ou même lors de rituels intimes?

Parce que la musique est, comme on dit, un langage universel. Mais au-delà de ça, j'ai toujours la chance d'être très bien introduit. J'ai toujours quelqu'un, une personne sur place qui va m'introduire, me présenter. Et ça, c'est un peu au fur et à mesure de mes voyages. J'ai accumulé beaucoup de contacts. Et donc, ces contacts-là vont me donner d'autres contacts. Et je vais souvent arriver de manière très simple dans un endroit qui n'est pas forcément facile à trouver, mais où je suis très bien introduit. Et très rapidement, les gens me font confiance. Parce que j'explique peut-être assez simplement ce que je fais.

C'est une sorte de représentation très large des pratiques musicales à travers le monde. Et tout mon travail étant non commercial, je pense qu'il n'y a pas vraiment de problématique sur le fait que je fasse de l'argent derrière ou quoi que ce soit. Je fais des films parce que j'aime les donner aux gens que je filme. J'aime faire des beaux portraits qui sont avant tout faits pour eux. Pour qu'ils soient heureux de leur propre musique, de leur propre manière d'être ensemble. J'ai toujours eu beaucoup de facilité à rencontrer les gens et à être introduit, à avoir accès à des lieux qui a priori ne sont pas faciles. Et pourtant, les portes s'ouvrent toujours.

VOVworld: Vous partagez toutes vos œuvres librement sous licence Creative Commons. Pourquoi ce choix, et que signifie pour vous la circulation ouverte des images et des sons?

Pour moi c'est très important parce qu'on vit dans une époque, l'ère de l'internet, où l'idée du partage n'est plus la même qu'à l'époque avant internet. Aujourd'hui on peut partager de manière beaucoup plus simple, très librement, sans que cela nous coûte matériellement. On peut multiplier les enregistrements, on peut les semer au vent comme des graines. Et pour moi la licence libre, la licence Creative Commons, la licence en open source, est plus proche de mes valeurs. Mes valeurs sont les valeurs du partage, de l'équilibre, de la non hiérarchie. Alors j'ai toujours défendu ces valeurs-là, qui sont à mon avis inscrites dans une certaine manière d'utiliser une nouvelle technologie dont on a un peu perdu la trace ces dernières années. L'internet s'est en fait dévoré effectivement par une capitalisation du monde. Moi je crois beaucoup encore en le fait que l'on puisse encore faire des choses gratuites, et les partager gratuitement.

Vincent Moon: Être disponible à l’instant, c’est déjà du cinéma - ảnh 4Photo: Thùy Linh

VOVworld: Dans un monde saturé d’images et de sons numériques, comment parvenez-vous à préserver une dimension poétique et sensible dans vos films?

Quel angle est-ce que l'on porte sur la réalité? C'est déjà une chose importante. Mais au-delà de ça, je pense qu'il y a quelque chose de très important à dire. C'est qu'aujourd'hui, ce qu'il va nous manquer, de plus en plus, c'est le rapport physique. C'est la présence. Alors je dirais que le cinéma, autant que possible, doit poser la question de la présence. La présence dans un espace collectif. Non seulement devant un film, mais devant d'autres corps. Donc c'est pour ça que je m'intéresse beaucoup à des formes de live cinéma, de performances, parce qu'il s'agit d'être ensemble dans un espace, d'être ensemble dans un corps collectif, et de faire communauté. De faire communauté même sur un temps assez court.

Je pense que la plus grande menace pour notre humanité aujourd'hui, c'est cette séparation des uns envers les autres. Le fait que l'on ne communique plus qu'à distance avec des technologies. Moi je pense qu'il faut absolument se remettre à communiquer avec des corps, directement, sans interface. Et donc j'aime travailler mes formes de cinéma, pour qu'on puisse s'organiser dans des petits endroits, qu'on puisse s'organiser des moments où des gens se rencontrent, se racontent des histoires, et peut-être créer leurs propres histoires à eux. Alors c'est ça qui m'intéresse. Je pense que la question pour n'importe quel artiste aujourd'hui, au-delà du cinéma, c'est la question de la présence. Comment être présent, les uns envers les autres, dans un espace commun.

Vincent Moon: Être disponible à l’instant, c’est déjà du cinéma - ảnh 5Photo: Thùy Linh

VOVworld: Comment vous voyez la suite?

La suite c'est un peu la continuité, c'est continuer pour moi à voyager, à rencontrer, à documenter la richesse du monde, à montrer la beauté de l'humanité. En fait c'est une chose qui aujourd'hui n'est pas vraiment à la mode, ou alors on montre beaucoup les aspects les plus sombres de notre humanité. J'aime bien montrer les aspects les plus lumineux.

Et à travers la musique, à travers les rituels, j'ai l'impression qu'on touche à quelque chose peut-être les choses les plus belles qu'a fait notre humanité ensemble. Et j'ai envie de continuer à documenter ça. Donc je pense que les prochaines années, je serai encore sur la route, encore quelques temps. Tant que mon corps me permet d'avancer, je continuerai à avancer vers l'autre, à rencontrer des gens, et à documenter les musiques à travers le monde, parce que c'est un plaisir sans fin. Et que l'humanité est une idée merveilleuse.

VINCENT MOON (né en 1979), de son vrai nom Mathieu Saura, est un réalisateur français indépendant de films musicaux. Avec ses partenaires de La Blogothèque, il a cofondé la célèbre série musicale Take Away Shows, composée de courts métrages mettant en scène des artistes indépendants internationaux. Depuis plus de vingt ans, il parcourt le monde pour documenter des performances musicales locales dans une grande diversité de genres : musique populaire, rituels sacrés, expérimentations sonores... À travers son projet Petites Planètes, il a réalisé plus de 1.300 films. Ses œuvres, qui défient les normes cinématographiques établies, s’éloignent des récits dominants occidentaux et interrogent la complexité des pratiques numériques contemporaines. Vincent Moon diffuse l’intégralité de ses films et enregistrements musicaux gratuitement sur Internet, sous licence Creative Commons. 

Commentaires