Sebastien Ly | Photo: cccdanse.com
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Sébastien Ly : Le spectacle commence au moment où les gens prennent leurs billets et où on leur remet une feuille sur laquelle ils sont invités à écrire un souvenir en lien avec l’un de leurs grands-parents. C’est-à-dire que même avant que le spectacle ne commence, les spectateurs sont déjà plongés dans leurs propres souvenirs à eux. Lorsqu’ils rentrent dans la salle pour s’asseoir, on leur demande de déposer cette feuille sur le bord de la scène. Et en même temps, il y a un film qui est projeté. C’est un court métrage que j’ai coréalisé avec Thierry Thieû Niang qui est aussi un artiste franco-vietnamien. Dans ce film, on voit une forêt, on voit deux danseurs, un plus âgé et un plus jeune, on découvre aussi un tissu en soie, et on entend aussi la voix d’une personne âgée qui raconte des choses. Après, le spectacle commence, les danseurs partagent des souvenirs de leurs grands-parents. Petit à petit, on glisse dans le spectacle. Il y a à la fois le témoignage des danseurs, les mots des spectateurs, et puis cette voix qu’on réentend plus tard dans le spectacle. Il y a aussi des extraits de livres qui parlent justement de la mémoire. C’est comme un tissage très fin avec plein de fils de mémoire, à la fois d’artistes, de spectateurs, à travers le film, à travers des mots, qui vont composer pendant une heure comme un voyage dans la mémoire.
Photo tirée du court métrage appendice Aux portes de l’oubli, Sébastien Ly et Thierry Thieû Niang | Photo: Florian Nguyen |
J’ai voulu créer comme un sas, c’est-à-dire qu’avant le spectacle, il y a un moment particulier qui permet aux gens, entre le moment où ils arrivent de la rue, où ils ont mangé ou quitté le taxi, d’entrer dans un rythme différent. Le film joue ce rôle là. Et dans ce film aussi, on a des éléments, comme la voix d’une personne âgée et un tissu en soie blanc qu’on peut trouver dans le spectacle. C’est comme si on construisait un premier souvenir qui est ce film. Et quand le spectacle commence, on se souvient du film qu’on a vu. Comme si on recréait une mémoire collective à l’intérieur d’un spectacle. »
« Le spectacle m’a beaucoup ému parce qu’il a évoqué la dernière image que je garde de ma grand-mère. On était très proche l’un de l’autre. Son dernier souhait était de me voir créer ma petite famille à moi. Je l’ai réalisé, ce souhait, mais elle n’est plus là aujourd’hui pour partager la joie avec moi », nous confie Anh Duc, un spectateur.
Photo: cccdanse.com
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Sébastien Ly : À la toute fin, il y a une musique religieuse qui est le Miserere d’Allegri C’est une musique qui était jouée uniquement à Pâques, au mois d’Avril, à la chapelle Sixtine, au Vatican. Les gens qui voulaient l’entendre devaient aller dans ce lieu ce jour là. Et un jour, il y a un tout jeune compositeur qui était là, et qui en rentrant chez lui, a été capable de retranscrire la musique de mémoire. Ce tout jeune compositeur, il s’appelait Wolfgang Amadeus Mozart ! C’est à partir de là que la musique a pu être diffusée ailleurs. C’est à travers le souvenir de quelqu’un que la musique a été diffusée après.
Cette thématique sur la mémoire a commencé en 2015 et a duré trois ans. « Aux portes de l’oubli » est le spectacle qui clôture ces trois ans de travail. En tant que Français d’origine vietnamienne, ça m’a permis de me reconnecter avec le Vietnam. C’est vraiment ce travail sur la mémoire qui m’a amené à reconnecter avec le Vietnam et qui est maintenant une partie importante de mon travail et de ma vie. »
VOV : Quel est le lien entre vos grands-parents et vous ?
Sébastien Ly : Ce sont des figures vraiment importantes. Ce qui est fort c’est qu’ils m’ont toujours parlé en français, donc, malheureusement je ne parle pas vietnamien. Je suis venu au Vietnam seulement en 2008, j’avais à l’époque 27 ans. Quand je suis arrivé, je me suis rendu compte que le jardin de mes grands-parents, la manière dont les plants étaient dans des pots posés sur la terrasse, la manière donc le jardin était organisé était très vietnamienne. Il y a plein de détails comme ça qui ont fait que je me suis rendu compte qu’ils m’avaient transmis beaucoup de choses sans forcément me dire que « C’était vietnamien ». On a toujours mangé vietnamien à la maison, la fête du Têt était toujours très importante, j’ai toujours baigné dans la culture vietnamienne et en même temps j’ai aussi la culture française. Depuis que je suis rentré au Vietnam, je comprends aussi des choses en moi, même en tant que chorégraphe, j’ai une manière d’aborder les mouvements, une relation au temps qui est très vietnamienne. C’est ce que les Vietnamiens m’ont dit ici. C’est très intéressant parce qu’en France, mon travail est très soutenu. Parfois je me rends compte qu’il y a des choses qui sont comprises très bien par le public vietnamien et qui le sont un peu moins pour le public français. Je pense que dans ma manière de concevoir des spectacles, il y a quelque chose qui est vraiment vietnamien.
Photo: cccdanse.com
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La première fois que je suis venu au Vietnam, ça a été un choc assez fort. Le Vietnam que mes grands parents ont quitté en 1956 n’a plus rien à voir visuellement avec le Vietnam d’aujourd’hui. Par exemple, tous les weekends, mon grand père avait l’habitude de partir de Saigon jusqu’à Vung Tàu à vélo. J’ai voulu faire le même trajet à vélo en 2016, sauf que la ville a été reconstruite, qu’il y a des ponts et des routes énormes. Pour moi, c’est quelque chose de très fort de me rendre compte que, finalement, au-delà de mon désir de me connecter à la mémoire de mes grands-parents, l’important, c’est ce que je peux faire aujourd’hui au Vietnam, dans un Vietnam qui a beaucoup changé.