La coopération franco-vietnamienne à l’heure du bilan

Bui Thu Hang
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(VOVWORLD) - En 2023, le Vietnam et la France célèbrent le 50e anniversaire de leur relation diplomatique et le 10e anniversaire de leur partenariat stratégique. Ce partenariat englobe de nombreux secteurs de coopération, allant de la politique jusqu’à la culture, en passant par l’économie, l’enseignement, la santé, la coopération décentralisée ou encore le développement durable. C’est l’occasion pour l’ambassadeur de France au Vietnam, Nicolas Warnery, de dresser le bilan d’une coopération privilégiée, vieille d’un demi-siècle.
La coopération franco-vietnamienne à l’heure du bilan - ảnh 1L'ambassadeur de France au Vietnam, Nicolas Warnery | Photo: Duc  Anh / VOV5 Media

Nicolas Warnery: La coopération culturelle est un des piliers très importants de la relation franco-vietnamienne, à la fois parce que c’est au cœur de notre relation et parce qu’il y a une multiplicité d’acteurs et d’opérateurs. Cela touche tous les domaines: le patrimoine, le livre, les débats d’idées, les arts de la scène, le théâtre, la danse, les arts visuels, la photo, la peinture, le cinéma. Et il y a tous les opérateurs: l’École française d’Extrême Orient, la plus ancienne; il y a les deux directions des Archives, les deux Bibliothèques nationales qui ont des projets importants ensemble; beaucoup d’universités; plusieurs musées; des instituts de recherche, etc... Et j’ajoute une petite chose que nous avons en commun: la France et le Vietnam ne considèrent pas la culture comme un domaine livré au marché. C’est un domaine que l’État et les collectivités doivent organiser, même s’il y a aussi une activité commerciale.

Nous avons en ce moment beaucoup de projets. Un premier projet très important, qui a commencé l’an dernier, porte sur la valorisation des patrimoines matériels et immatériels du Vietnam, en lien avec plusieurs musées français. Cette année, dans le cadre des 50 ans des relations franco-vietnamiennes, dont le slogan est «Cultures partagées», plusieurs projets culturels ont déjà commencé.  

VOV: En 30 ans, le Vietnam a connu une croissance économique remarquable, qui induit de nouveaux défis: croissance de la demande d’énergie, développement urbain rapide, arrivée chaque année d’un million de jeunes travailleurs sur le marché de l’emploi... À ces enjeux s’ajoute une urgence: l’exposition aux catastrophes naturelles et aux effets du changement climatique. Étant l’un des premiers fournisseurs d’aides publiques au développement au Vietnam, la France a prêté main-forte au Vietnam pour lui permettre de relever ces défis. Par le biais de l’AFD, la France a accordé 2,2 milliards d’euros au Vietnam en 26 ans, au travers de 93 projets...

Nicolas Warnery: Nous sommes même à 2,5 milliards maintenant. L’AFD est arrivée en 1993 parmi les premiers opérateurs français, au lendemain de la visite du président François Mitterrand qui réouvrait les rapports politiques et les visites de haut niveau. Centrée sur les défis climatiques depuis plusieurs années, l’AFD a une programmation que nous appelons «100% Accord de Paris», c’est-à-dire, tout doit être relié au défi climatique. C’est un défi partagé. En fait, la France, qui est un des partenaires clefs du Vietnam, veut à tout prix accompagner le pays sur le changement climatique et dans les engagements qu’il a pris à Glasgow lors de la COP-26. Le principal défi, c’est la transition énergétique, le Vietnam mise sur le développement du photovoltaïque, de l’hydroélectricité et donc nous aidons le Vietnam. Je prends deux exemples. La centrale hydroélectrique de Hoa Binh, pour laquelle il y a une aide de l’AFD de près de 70 millions d’euros, ou le métro de Hanoï qui est par définition un mode de développement durable et peu polluant.

Nous essayons aussi, toujours dans le cadre du climat, d’aider le Vietnam à s’adapter au changement climatique. Et on connaît les défis très particuliers du Vietnam qui en font le cinquième pays le plus affecté par le changement climatique. Alors c’est notamment le cas des deux deltas du fleuve Rouge et du Mékong qui ont tendance à s’enfoncer. Ce qui est évidemment très ennuyeux puisque ce sont deux zones extraordinairement riches, notamment sur le plan agricole. Il y a l’érosion côtière, il y a les inondations et donc là-aussi, pour cela, il y a des prêts de l’AFD, notamment en matière d’inondations. Il y a près de 123 millions d’euros dans ce domaine pour aider cinq villes parmi les plus impactées par les inondations. Donc nous intervenons essentiellement avec notre opérateur AFD.

Nous intervenons aussi en amont à travers les centres de recherches. Tous ces défis sont étudiés grâce à nos centres de recherches. J’aimerais citer notamment l’IRD, le Centre de Recherches du développement et le Cirad en matière agricole qui sont implantées au Vietnam depuis trente ans et qui travaillent dans des équipes mixtes franco-vietnamiennes à relever ces différents défis: le changement climatique, la biodiversité, la lutte contre la pollution, l’hydroécologie, l’évolution de l’agriculture. Je cite un exemple sur l’adaptation du café au changement de température pour avoir une variété de café arabica et non plus seulement robusta, qui résiste aux changements de température et à la sécheresse qui arrivent dans certaines régions du Vietnam.

VOV: En décembre 2022, les dirigeants du Vietnam et du Groupe des partenaires internationaux ont convenu d’un ambitieux Partenariat pour une transition énergétique juste (JETP). Ce partenariat mobilisera un montant initial de 15,5 milliards de dollars de financements publics pour permettre au Vietnam d’atteindre la neutralité climatique d’ici 2050. Quelles seront les contributions françaises dans le cadre de ce partenariat?

Nicolas Warnery: S’agissant de la transition énergétique, c’est la conclusion directe à la fois de la COP-26 de Glasgow et de la COP-27 de Charm-el-cheikh. Un certain nombre de pays se sont vu proposer, parce qu’ils avaient une exigence particulière, un partenariat de transition énergétique juste, le JETP. Le G7, plus le Danemark et la Norvège ont proposé et ont signé avec le Vietnam le 14 décembre dernier à Bruxelles un JETP qui va permettre la mobilisation de 15,5 milliards de dollars à la fois de fonds publics et de fonds privés. L’objet est de travailler essentiellement sur le réseau électrique et sur les énergies renouvelables.

La France, elle, prend un créneau qui est déjà engagé, une réalité. J’en suis très heureux et très fier parce que nous avons signé un partenariat tripartite avec AFD comme financeur, Electricité de France, EDF et Electricité du Vietnam. Ces deux derniers se connaissent depuis longtemps, EDF va aider EVN à évoluer vers les énergies renouvelables et une meilleure gestion de son réseau d’électricité. Nous avons mobilisé nos moyens budgétaires qui sont disponibles. Il n’y a donc aucune inquiétude ni sur la disponibilité des acteurs, ni sur la disponibilité du budget.

VOV: Le développement urbain durable constitue également un pilier de notre partenariat. La France a aidé le Vietnam à moderniser ses infrastructures stratégiques, avec par exemple le développement des transports collectifs (ligne 3 du métro de Hanoï, voie ferroviaire Hanoï-Lao Cai), des services publics d’eau et d’assainissement, des réseaux de collecte et de traitement des déchets, mais aussi l’intégration de problématiques environnementales dans la planification urbaine. Quel est l’état d’avancement de ces projets?

Nicolas Warnery: Quand on parle de changement climatique, on pense à l’environnement naturel, le delta, la côte, la montagne, etc. Mais le changement climatique est un défi qui se manifeste aussi en ville et il faut que les villes soient plus durables. Ça passe notamment par le développement de moyens de transport non-polluants, non soumis aux embouteillages, à la pollution, aux gaz d’échappement, aux retards. Et donc pour nous, la ligne 3 du métro, «la ligne française», est un projet emblématique. C’est celui en plus qui mobilise le plus d’aides de l’État et de l’AFD.

Il y a aussi d’autres travaux, financés souvent par l’AFD avec nos centres de recherche, avec l’aide de la région Ile-de-France qui est très présente à Hanoï parce qu’elle a une coopération très ancienne, très forte sur le développement. Par exemple: des voies réservées aux autobus, des modèles d’analyse comme la baisse de la pollution le week-end quand les pourtours du lac Hoàn Kiêm sont piétonniers pour essayer de mesurer l’incidence des transports - voitures, motos et autres - sur les gaz carboniques et la pollution au niveau de la rue. La région Ile-de-france a envoyé des experts en juillet dernier pour dialoguer pendant 48 heures de manière très approfondie sur ces expériences. Donc ce n’est pas seulement des chantiers et de l’argent. C’est aussi un partage d’expertise et d’expériences qui bénéficie aux deux parties parce que certaines expériences vietnamiennes bénéficient aussi aux villes françaises, aux régions françaises qui sont confrontées aux mêmes défis: des embouteillages, de la pollution, du réchauffement et du climat. Nous ne sommes pas exactement dans les mêmes conditions de développement et d’aménagement, mais nous sommes confrontés exactement au même défi. Donc nous devons travailler ensemble.

VOV: L’action des collectivités locales françaises apporte une forte valeur ajoutée à la coopération de la France au Vietnam par leur participation au développement socio-économique territorial ainsi qu’au renforcement des capacités institutionnelles des acteurs locaux. À ce jour, combien y-a-t-il de groupes de collectivités franco-vietnamiennes et combien de projets de coopération décentralisée sont en vigueur? Quels sont les domaines les plus ciblées et les plus pertinents?

Nicolas Warnery: C’est un pilier de notre coopération et c’est une de ses spécificités aussi. Pourquoi? Parce qu’elle vient compléter le dialogue politique de haut niveau et la coopération entre États ou entre opérateurs de l’État par des coopérations plurielles, multiples, entre les provinces, entre les universités, entre les hôpitaux, entre les écoles, parfois même entre les associations. Ça s’est d’ailleurs beaucoup vu au moment de la crise de la Covid, parce que c’est entre partenaires de cette coopération décentralisée, dans toute sa variété, que se sont fait notamment les dons de masques, les messages de soutien et en sens inverse, les dons de vaccins.

Nous avons recensé 55 projets ou accords qui vivent à l’heure actuelle, qui associent 24 collectivités territoriales françaises, régions, départements, communes ou agglomérations et 33 autorités locales vietnamiennes.

Les thèmes essentiels sont le patrimoine, l’eau et l’assainissement, le développement durable dans toutes ses dimensions, que ce soit l’agriculture, le tourisme, le développement des villes...

VOV: Quels sont les éléments les plus concrets qui traduisent le caractère stratégique de notre partenariat?

Nicolas Warnery: J’aimerais partager avec vous un souvenir. J’étais consul général de France, à Hô Chi Minh-ville de 2004 à 2007. J’ai eu la chance d’assister au discours du président de la République, Jacques Chirac, sur cette pelouse-là, à 20 mètres d’ici. En 2004, il avait parlé d’une manière extraordinairement éloquente et émouvante de la relation franco vietnamienne. Il avait dit: «Ce sont des relations qui sont marquées par leur force et leur singularité. C’est une relation du cœur, l’une des plus fortes qu’on puisse imaginer». Il avait touché du doigt directement en quelques mots ce qu’était la spécificité et la force de la relation entre nos deux pays.

Historiquement, si on repart en arrière, si on remonte au président Mitterrand, la France a été la première des puissances occidentales à revenir au Vietnam après les longs épisodes, durant lesquels, le Vietnam assumait sa réunification, sa politique de Dôi Moi et réglait un certain nombre de problèmes intérieurs. Dès que le signal est venu, le général Giap a dit «Revenez!», il est venu d’ici lors d’un 14 juillet avec un certain nombre d’opérateurs et un certain nombre d’entreprises. Il y a donc eu l’impulsion politique. La France a tenu et a été heureuse d’être la première à s’engager dans la nouvelle phase de la vie du Vietnam en aval du Dôi Moi.

La France a connu quelques très belles réussites avec le Vietnam. Ce sont les relations économiques, dans le développement durable, dans l’environnement, dans l’enseignement supérieur, la recherche, la santé, la gouvernance, l’administration, etc. C’est depuis cinquante ans. Mais depuis dix ans, il y a également le partenariat stratégique qui marque une ambition de passer encore plus loin. Nous avons toujours de grandes ambitions pour développer nos échanges, pour lutter encore plus efficacement contre le changement climatique qui devient de plus en plus sévère. En matière de défense, nous sommes disponibles pour le Vietnam si le Vietnam est prêt.

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